« Tu cesseras de craindre si tu as cessé d’espérer. »
Lettre à Lucilius V (extrait)
[…] Mais pour te faire participer encore à la petite aubaine de ce jour, j’ai lu chez Hécaton, l’un des nôtres, que la mort des désirs profite aussi comme remède de la peur. « Tu cesseras de craindre, dit-il, si tu as cessé d’espérer. » Tu demandes comment deux choses si opposées peuvent aller ensemble ? Eh bien, oui, cher Lucilius, en apparence divisées, elles sont étroitement unies. Tout comme la même chaîne attache le soldat à son prisonnier, ainsi ces affections si dissemblables marchent de compagnie : après l’espérance la crainte. Je ne m’étonne pas qu’il en aille ainsi : toutes deux sont filles de l’incertitude, toutes deux en attente, en souci de ce qui adviendra. Mais ce qui surtout les fait naître, c’est qu’on ne s’arrange pas du présent, c’est qu’on lance bien au loin ses pensées dans l’avenir. Ainsi la prévoyance, l’un de nos plus grands biens sur cette terre, s’est tournée en mal. L’animal voit le danger et le fuit ; le danger s’éloigne, sa sécurité renaît : nous, l’avenir nous torture en même temps que le passé. Que de choses salutaires à l’homme sont pour l’homme des poisons ! Sa mémoire lui ramène les angoisses de la peur, sa prévoyance les anticipe. Nul n’a assez des misères du présent.
– SENEQUE –